Dans un premier temps, je lève mon chapeau aux gens qui sont les essentiels de cette période tumultueuse. Ceux qui se lèvent le matin, ou en fin de journée pour les quarts de nuit, que vous vous occupiez de l’entretien des lieux ou des équipements, que vous laviez ou soigniez un malade, on ne peut se passer de vous. La population le reconnaît de plus en plus et vous tenez à bout de bras un système à la dérive. La question ne se pose pas, vous êtes essentiels!
Puis, je me pose la même question concernant mon métier d’enseignant. Sommes-nous essentiels? Sommes-nous assez importants pour être essentiels à la population? La question est plus difficile à répondre que pour notre personnel de la santé. Pour l’élève qui réussirait seul, autant en classe qu’à la maison, je ne crois pas que nous sommes essentiels. Par contre, nous le sommes pour celui ou celle qui vient chercher l’aide à tous les jours et avec lequel ou laquelle nous vivons des petites réussites au gré des semaines. Pour la bureaucratie, nous sommes un matricule comme un autre, donc pas essentiel. De toute façon, il y a des remplaçants. Plus discrets par les temps qui courent, mais c’est un autre dossier. Pour le petit ou la petite qui vit de l’anxiété, nous sommes la figure de stabilité et sa médication apaisante à tout ce stress. Pour certains amis, nous sommes la personne qui travaille seulement quand les jeunes ont de l’école, que nous avons plus de semaines de vacances que n’importe quel autre métier, que nous travaillons de 8h à 15h et que c’est facile de s’occuper des jeunes. Nous ne sommes pas très essentiels à leurs yeux. Pour le parent qui vit une situation difficile avec son jeune et qui, après nous avoir partagé son désarroi, nous fait entièrement confiance et nous laisse entre les mains un enfant qui a des besoins à combler, nous sommes essentiels. Pour certains journalistes qui crient aux scandales à propos de rien, qui présentent les nouvelles mesures du ministère de l’Éducation comme étant des solutions à de petits problèmes dans le système éducatif, qui avalent l’injection à coup de millions de dollars de ressources, qui en passant sont indisponibles ou inexistantes, nous ne sommes pas essentiels. Nous sommes les pions du système. Par contre, cet élève qui compte sur l’école pour lui fournir un déjeuner équilibré, qui lui offre un espace pour y faire du sport et s’épanouir, nous sommes essentiels. Pour la mère qui prend la parole à TVA Nouvelles pour dire qu’elle est bien contente que ses enfants retournent à l’école pour vaquer à ses occupations à la maison, nous sommes essentiels. Attendez, sommes-nous essentiels dans ce cas? Sûrement pas mais au moins elle nous le fait croire. Probablement pas autant essentiel que pour un élève qui vient de découvrir un sujet qui le passionne, qui demande seulement à être accompagné dans cette belle démarche d’apprentissage, de développement personnel. Pour cet élève, nous sommes essentiels. Si je me fis au dernier point de presse du Ministre de l’Éducation, il nous informe que nous sommes un service essentiel. Wow, enfin, nous avons la réponse à cette question. Puis je m’arrête et réfléchis. Pourtant, tout ce qu’il a annoncé depuis le début de cette crise était contradictoire. Commençons par les journées de congé en mars dernier. Pas importante l’école, prenez deux semaines de congé. Ensuite, il serait bien de faire un suivi auprès des élèves. On va vous faire des trousses puis vous les partagerez. On va ouvrir les écoles mais c’est pas grave, faites passer tous les élèves, ça sera moins compliqué. Arrive septembre, et là, tout est lancé dans la cour des écoles : l’application des mesures sanitaires, la vitalité des groupes “bulles”, les déplacements à 2 mètres (essayez de vous imaginer ça dans un corridor d’école!), etc. La réalité est frappante, près de la moitié des jeunes reviennent en classe avec une absence des bancs d’école de plus de six mois. Malgré toute leur bonne volonté, la cohabitation entre les élèves est difficile, le retour à la routine et aux règles de vie est laborieux. On commence l’année et l’équilibre est fragile. Pas grave, les enseignants sont bons! Ils seront relever le défi. Puis si ça ne fonctionne pas, on pensera à autre chose. En attendant, qu’ils fassent leur possible. J’imagine que lorsque tu es essentiel dans une société, on s’organise pour que tu le sentes. On doit tout mettre en place pour te faciliter la tâche. On doit te donner une tape dans le dos et te dire, lâche pas, on est avec toi. Pourtant, les enseignants sont sans convention collective depuis près d’un an et on leur propose des miettes de gains. Pas si essentiels que ça! Mais pour ne pas que s’effondre un système scolaire négligé depuis des dizaines d’années, nous sommes essentiels. Je ne suis pas encore certain de la réponse à la question. Par contre, je sais que nous sommes essentiels dans un système qui bat de l’aile, pour des familles dans le besoin, pour des jeunes qui désirent être allumés et guidés, pour des parents qui ont confiance en nous. Alors, lundi, quand je franchirai le seuil de porte de ma classe, je me trouverai essentiel pour la vingtaine d’élèves devant moi qui m’attendra et voudra savoir “Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui monsieur Jérôme?” Jérôme Fréchette Enseignant 3e cycle
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AuteurMari, père de famille, enseignant depuis plus de 15 ans, et un gars qui aime dire ce qu'il pense. ArchivesCatégories |